La rente accident du travail (AT) ne doit pas s'imputer sur l'indemnisation du déficit fonctionnel permanent

Me Alexandre FARELLY • janv. 28, 2023

Par deux arrêts extrêmement attendus en date du 20 janvier 2023 (n°20-23.673 et n°21-23.947), la Cour de cassation réunie en Assemblée plénière opère un revirement jurisprudentiel majeur pour le droit du dommage corporel. 


La Haute juridiction a jugé dans sa formation la plus solennelle que la rente accident du travail (AT) ne peut s'imputer sur le poste du déficit fonctionnel permanent.


La motivation est limpide (décision n°21-23.947) :


"4. Selon les articles L. 434-1 et L. 434-2 du code de la sécurité sociale, la rente versée à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle atteinte d'une incapacité permanente égale ou supérieure au taux de 10 % prévu à l'article R. 434-1 du même code est égale au salaire annuel multiplié par le taux d'incapacité qui peut être réduit ou augmenté en fonction de la gravité de celle-ci.

5. Selon l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, indépendamment de la majoration de la rente qu'elle reçoit en vertu de l'article L. 452-2 du même code, la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle.


6. La Cour de cassation juge depuis 2009 que la rente versée à la victime d'un accident du travail indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent (Crim., 19 mai 2009, pourvois n° 08-86.050 et 08-86.485, Bull. crim. 2009, n° 97 ; 2e Civ., 11 juin 2009, pourvoi n° 08-17.581, Bull. 2009, II, n° 155 ; pourvoi n° 07-21.768, Bull. 2009, II, n° 153 ; pourvoi n° 08-16.089, Bull. 2009, II, n° 154).

7. Elle n'admet que la victime percevant une rente d'accident du travail puisse obtenir une réparation distincte des souffrances physiques et morales qu'à la condition qu'il soit démontré que celles-ci n'ont pas été indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent (2e Civ., 28 février 2013, pourvoi n° 11-21.015, Bull. 2013, II, n° 48).

8. Si cette jurisprudence est justifiée par le souhait d'éviter des situations de double indemnisation du préjudice, elle est de nature néanmoins, ainsi qu'une partie de la doctrine a pu le relever, à se concilier imparfaitement avec le caractère forfaitaire de la rente au regard du mode de calcul de celle-ci, tenant compte du salaire de référence et reposant sur le taux d'incapacité permanente défini à l'article L. 434-2 du code de la sécurité sociale.

9. Par ailleurs, il ressort des décisions des juges du fond que les victimes d'accidents du travail ou de maladies professionnelles éprouvent parfois des difficultés à administrer la preuve de ce que la rente n'indemnise pas le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent.

10. Enfin, le Conseil d'Etat juge de façon constante qu'eu égard à sa finalité de réparation d'une incapacité permanente de travail, qui lui est assignée à l'article L. 431-1 du code de la sécurité sociale, et à son mode de calcul, appliquant au salaire de référence de la victime le taux d'incapacité permanente défini à l'article L. 434-2 du même code, la rente d'accident du travail doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l'accident, c'est-à-dire ses pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, et que dès lors le recours exercé par une caisse de sécurité sociale au titre d'une telle rente ne saurait s'exercer que sur ces deux postes de préjudice et non sur un poste de préjudice personnel (CE, section, avis, 8 mars 2013, n° 361273, publié au Recueil Lebon ; CE, 23 décembre 2015, n° 374628 ; CE, 18 octobre 2017, n° 404065).

11. L'ensemble de ces considérations conduit la Cour à juger désormais que la rente ne répare pas le déficit fonctionnel permanent.

12. Après avoir énoncé à bon droit que la rente versée à la victime, eu égard à son mode de calcul appliquant au salaire de référence de cette dernière le taux d'incapacité permanente défini à l'article L. 434-2 du code de la sécurité sociale, n'avait ni pour objet ni pour finalité l'indemnisation des souffrances physiques et morales prévue à l'article L. 452-3 du même code et qu'une telle indemnisation n'était pas subordonnée à une condition tirée de l'absence de souffrances réparées par le déficit fonctionnel permanent, la cour d'appel a exactement décidé que les souffrances physiques et morales de la victime pouvaient être indemnisées".

par Maître Alexandre FARELLY 05 mai, 2024
Procès en appel devant la Cour d'assises de l'Isère du 13 au 29 mai 2024
par Maître Alexandre FARELLY 27 févr., 2024
Problématique récurrente en expertise et devant la cour de cassation : si une pathologie est révélée par un accident, ses conséquences sont indemnisables en attendant l'avènement d'un expert omnipotent...
par Maître Alexandre FARELLY 16 févr., 2024
A la suite d'un accident de la route, l'assureur doit adresser une offre complète à la victime en respectant certains délais, a défaut il viole la loi :
par Maître Alexandre FARELLY 31 déc., 2023
"Mort de Flora et Nathan : le conducteur condamné à quatre ans de prison ferme" (www.francebleu.fr, lien direct : cliquer ici ) L'illustration par l'exemple que la justice sait prendre le temps nécessaire pour évoquer avec humanité la gravité des faits reprochés, cerner la personnalité de l'auteur, et celui dont les victimes ont besoin pour pouvoir exprimer leur douleur (près de 8h de procès, délibéré compris, pour permettre une réponse pénale à la suite des plaidoiries). La peine prononcée a été supérieure aux réquisitions. Elle libère d'une partie de la colère éprouvée. Elle empêchera, il faut l'espérer, et c'est tout l'enjeu, que l'auteur récidive. Il le doit à Nathan, Flora, leurs proches et la société. Sans appel interjeté, la condamnation prononcée est devenue définitive.
par Maître Alexandre FARELLY 10 oct., 2023
L'histoire de M. T...
par Maître Alexandre FARELLY 18 sept., 2023
Déontologiquement, l'avocat est tenu d'une obligation de compétence et corrélativement, de formation. Au-delà d'être une obligation, c'est avant tout un devoir, pour assurer la défense la plus qualitative possible du justiciable. Elle favorise l'égalité des armes au moment de l'expertise médicale puis lors des discussions amiables ainsi que devant le Juge.  Maître Alexandre FARELLY a validé en 2023 un Diplôme Inter-Universitaire sur l'évaluation des traumatismes crâniens. Les connaissances acquises seront mises au service des victimes de dommages corporels afin de défendre leurs droits contre ceux qui doivent les indemniser (Assurances, prévoyances, fonds de garantie etc...).
par Maître Alexandre FARELLY 11 sept., 2023
La Cour de cassation a tranché : la vente libre de CBD n'autorise pas la conduite après sa consommation
par Maître Alexandre FARELLY 12 juil., 2023
Pension et rente face au DFP, ou la cohérence d'un revirement majeur de la Cour de cassation en droit du dommage corporel
par Maître Alexandre FARELLY 03 juil., 2023
Oui mais...
par Maître Alexandre FARELLY 23 juin, 2023
Chambre Criminelle, 16 mai 2023, Pourvoi n°22-85.322
Plus de posts
Share by: