La correctionnalisation du viol

Maître Alexandre FARELLY • nov. 02, 2022

Les conséquences juridiques de la correctionnalisation d'un viol

Les agressions sexuelles avec acte de pénétration ne peuvent être qualifiées autrement que par le terme de viol en théorie. 


Le viol est un crime définit par l'article 222-23 du Code pénal comme "tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol". Ce crime fait encourir à son auteur une peine de 15 années de réclusion criminelle. Une peine qui s'alourdira en fonction des circonstances aggravantes retenues et qui peut aller jusqu'à la perpétuité lorsqu'il est précédé, accompagné ou suivi de tortures ou d'actes de barbarie (article 222-26 du Code pénal).


L'article 222-22 du Code pénal précise pédagogiquement : "Le viol et les autres agressions sexuelles sont constitués lorsqu'ils ont été imposés à la victime dans les circonstances prévues par la présente section, quelle que soit la nature des relations existant entre l'agresseur et sa victime, y compris s'ils sont unis par les liens du mariage".


"Pédagogiquement" car cette précision est inutile pour les professionnels du droit.


Un crime entraine par principe l'ouverture d'une information judiciaire puis la saisine d'une cour d'assises dont la compétence est d'ordre public. Autrement dit la volonté ne permet pas d'y déroger.


Dans les faits certains viols sont correctionnalisés, c'est-à-dire qu'ils font l'objet de poursuites devant le Tribunal correctionnel compétent pour juger des délits. Cette juridiction ne peut prononcer de peine supérieure à 10 ans d'emprisonnement en dehors des hypothèses de récidive. En cas de correctionnalisation d'un viol, la peine encourue peut donc considérablement se réduire pour atteindre 5 ans d'emprisonnement et 75.000 € d'amende.


En pratique cette correctionnalisation permet que des faits gravissimes soient jugés par un Tribunal formé de 3 magistrats professionnels seulement. L'audience est moins lourde, la peine encourue moins sévère. Autant de signaux favorables pour l'auteur a priori. Dans la pratique les peines prononcées peuvent être plus lourdes que celles qui le seront par une cour d'assises. Il devient stratégique pour un auteur de préférer l'audience plus lourde de la cour d'assises pour espérer une peine plus clémente. Une logique que l'on retrouve essentiellement en matière sexuelle et dont les premières victimes sont les femmes.


C'est l'un des enseignements de l'arrêt rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 14 septembre 2022 (n°21-86.866).


La correctionnalisation n'est possible qu'à travers l'exception prévue par l'article 469 alinéa 4 du Code de procédure pénale. Par définition, si un Tribunal est saisi directement par le Procureur de la République - donc sans saisine d'un Juge d'instruction préalablement - ce texte n'a pu trouver application.


Par conséquent, dès lors que l'enquête ou les déclarations de l'auteur permettent aux juges de constater un acte de pénétration, ils devront se déclarer incompétent et renvoyer le ministère public à mieux se pourvoir. Comprendre ici qu'il devra saisir un juge d'instruction.


C'était précisément le cas dans l'arrêt commenté où la Cour d'appel de RENNES a relevé qu'il "résult[ait] des déclarations de la partie civile que le prévenu a « introduit son doigt dans son vagin », qu'il aurait usé « de contrainte morale type chantage ou pression et physique, pour contraindre son épouse à des relations sexuelles complètes par pénétration pénienne et digitale vaginale et anale », et que les déclarations de la partie civile « sont corroborées par les déclarations de [Y] [L] lui-même, au cours de sa garde à vue, pendant laquelle il était assisté d'un avocat, ce dernier admettant qu'il avait pu introduire son doigt dans le vagin de sa femme qui serrait les cuisses ». Une juridiction d'appel qui a alourdi la peine prononcée en première instance puisque passant de 2 ans d'emprisonnement, dont un an avec sursis, à 4 ans d'emprisonnement dont 2 avec sursis. Précision faite que cette saisine de la cour d'appel émanait de l'auteur qui espérait de toute évidence une peine plus clémente.


En régularisant un pourvoi devant la Cour de cassation, l'auteur s'est offert un troisième degré de juridiction puisque la Chambre criminelle, après avoir constaté que les dispositions de l'article 469 du Code de procédure pénale n'avaient pas pu être respectées, cassait l'arrêt d'appel au motif que les faits commis caractérisant le crime de viol ; seule la cour d'assises était compétente pour en connaître.


Le jugement correctionnel et l'arrêt de la cour d'appel s'effondrent.


Le ministère public à l'origine de cette procédure doit amèrement regretter son choix procédural et l'auteur quant à lui s'offre la possibilité de recommencer à zéro devant une juridiction fortement susceptible, à le suivre, de prononcer une peine plus douce. La victime quant à elle a perdu plusieurs années de souffrances et d'attente. Il va lui falloir retrouver de la force pour un nouveau combat. 


Il faut espérer que la cour d'assises qui sera saisie ne se laissera pas convaincre du bien fondé d'une telle stratégie qui porte en elle le germe de la minimisation et de la banalisation des faits reprochés.


Tout comme il faut espérer que la victime a pu avancer sur le terrain indemnitaire en saisissant la Commission d'indemnisation des victimes d'infractions (CIVI) sans avoir attendu la fin de la procédure pénale.


La décision de la Cour de cassation démontre que cette juridiction, gardienne des principes cardinaux tels que l'interprétation stricte de la loi, veille au respect des règles en droit pénal. Que l'on soit dévoué à l'accompagnement des victimes ou à la défense des personnes poursuivies, il faut se satisfaire de ce constat.


Elle démontre également entre les lignes que la formule dénonçant le "laxisme des juges (professionnels)" nous apprend davantage sur la pensée de celui qui la prononce que sur la sévérité d'une autorité judiciaire représentée par plus de 8.500 juges. 


Elle éclaire enfin l'avenir des cours criminelles, composées de 5 magistrats professionnels, et qui auront pour compétence de juger des viols. Gageons qu'il est peu probable face à cette évolution de nos juridictions pénales qu'une personne poursuivie devant le Tribunal correctionnel, insatisfaite de sa peine, se risque à suivre le chemin parcouru et décrit dans l'arrêt commenté. Un parcours qui pourrait justement mener l'auteur du pourvoi devant la cour criminelle. A bon entendeur...

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